Les organiques chahutés

Alors que l’agriculture dans son ensemble souffre, le secteur des engrais organiques se trouve plus que jamais fragilisé. Qui plus est, les segments très demandeurs d’engrais organiques élaborés comme la vigne ou les labels bio ou HVE essuient une crise de consommation tandis que les producteurs conventionnels ont recentré leurs achats du fait de l’inflation. Certains fabricants s’attendent d’ailleurs à une chute de 30 à 40 % des ventes de fertilisants organiques cette campagne. À noter également, la contraction des volumes de matières premières disponibles comme celles issues de l’élevage et les difficultés financières de la société Ynsect qui devait fournir d’importantes quantités de frass sur le marché.

« Le déclenchement de la guerre en Ukraine, en février 2022, et les crises énergétique et logistique qu’elle a engendrées, a eu des conséquences directes sur l’ensemble de la filière, avec une augmentation du coût des matières premières et de l’énergie, ce qui a eu un impact à la fois sur les coûts de production et de transport, ajoute Stéphanie Tiprez, directrice d’Afaïa, syndicat des fournisseurs de fertilisants organiques et biostimulants. Malgré cela, nous constatons un intérêt grandissant pour les produits organiques. »

Il est bien difficile en effet de ne pas espérer une éclaircie sur ce marché alors que se dresse devant lui un chantier plein de promesses au travers de la régénération de la fertilité des sols. Cette mission nouvelle qui s’impose au secteur des organiques pour les décennies à venir offre en outre des possibilités pour stocker du carbone dans les sols et en restaurer également la fertilité biologique ainsi que la structure, le pH ou le potentiel redox. « Les engrais organiques apportent des solutions pour régénérer les statuts humiques dans le sol », résume Pierre-Yves Tourlière, responsable développement productions végétales pour Timac Agro France.

« Les engrais organiques ont une place primordiale au sein de la filière du stockage carbone dans les sols. Cependant le bénéfice environnemental de ces engrais n’est malheureusement pas encore réellement valorisé, déplore Stéphanie Tiprez. Si nous voulons soutenir ces filières, il est urgent que les pouvoirs publics encouragent l’utilisation d’amendements et d’engrais organiques, notamment par la mise en place de mécanismes d’évaluation et de valorisation des bénéfices écosystémiques apportés. Certains pays européens le font déjà et la France devrait suivre l’exemple. » Au sujet de l’agriculture régénérative, la directrice d’Afaïa estime que la fertilisation organique élaborée y est peu utilisée, à l’inverse des « couverts végétaux et rotations ».

Un « acte fort » de Frayssinet

Plusieurs entreprises souhaitent ainsi s’emparer de ce potentiel. Par exemple, le fabricant d’engrais organiques Frayssinet a annoncé cette année l’intégration de cinq nouveaux responsables régionaux en France et en Espagne. « C’est la première fois que l’entreprise recrute autant de technico-commerciaux en même temps, c’est un acte fort sur le marché de la fertilisation organique qui rencontre des difficultés », souligne Matthieu Grebot, directeur communication et RSE du groupe. La volonté affichée de la structure est de renforcer sa présence et son impact « sur le marché agricole, avec un accent particulier sur les grandes cultures, ainsi que celui des espaces verts ».

En dépit des difficultés rencontrées par Ynsect, le projet d’élevage d’insectes Innovafeed aborde la finalisation de la troisième phase d’expansion de son site de production à Nesle (Somme). Ce faisant, l’entreprise multiplie par cinq la capacité de production larvaire. « Nesle devient le plus grand site de production d’insectes au monde », explique la start-up qui produira dès lors d’importantes quantités de déjections fertilisantes.

Yara ne cache pas également son ambition sur le marché des organiques depuis la présentation de la marque Yara Nature fin 2023. Une démarche que l’industriel norvégien envisage en vue de pouvoir apporter une offre globale de solutions sur le marché pour l’agriculture régénérative. « Nous nous positionnons clairement sur les engrais organiques et la santé des sols avec un sujet stratégique dans la fertilisation associée qui combine l’organique et le minéral, explique Michael Lepelley, directeur marketing France de Yara. Aujourd’hui, notre gamme d’engrais organiques est disponible en France. Yara International a notamment racheté la société Agribios en Italie en décembre 2023. Nous réalisons également une partie de notre production en partenariat avec des tiers. »

Structuration chez Veolia

Signe de l’intérêt porté au secteur, le spécialiste de l’eau et des déchets Veolia souhaite également gagner en visibilité sous son propre nom pour ses activités d’engrais avec sa holding Veolia agriculture France. Ainsi, depuis juillet 2024, l’appartenance au groupe des filiales de fertilisation organique Angibaud, Huon, Fertivista (ex-Sede fertilisants) et Sani est clairement mise en avant, les entités conservant néanmoins leurs marchés, spécificités et équipes dédiées. En début d’année, la filiale de Suez et du groupe Avril, Terrial, a lancé de son côté une offre de fertilisants « à la carte », à base de tourteaux de chou d’Éthiopie. D’autres tourteaux sont également mis à l’étude.

« La demande pour les engrais organiques est amenée à croître, assure Pierre-Yves Tourlière, de Timac Agro France. La tendance de fond est là. Il y a des crises, mais ce sont des crises de croissance. Cela reste un marché d’avenir. De notre côté, nous sommes d’ailleurs en phase de sourcing pour pouvoir continuer à produire ces engrais. Nous cherchons à diversifier nos sources d’approvisionnement jusqu’ici principalement centrées sur les coproduits de la vigne et du vin dont les volumes peuvent être fluctuants en fonction des vendanges . »